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Plan de sauvetage des médias de service public: de l’ambition à l’action (Youssouf Sylla)

youssouf Sylla, juriste Au cours de sa rencontre avec les journalistes des médias de service public le 10 décembre dernier, le Président de la République a mis l’accent sur la nécessité d’innovation et de professionnalisation de ces médias. Sa vision de refondation des médias du secteur public est claire. La présente contribution s’attache à la traduire en un ambitieux Plan de sauvetage de ces médias financés par le contribuable, à travers un diagnostic et des propositions de réforme audacieuses.
Intenable statuquo

Contrairement à une croyance populaire, un diffuseur public comme la RTG bien que financé par l’État n’est pas un media d’État, plutôt un media de service public. Ainsi, la ligne éditoriale de ce media n’a pas à être définie par le gouvernement. C’est généralement par voie législative que la mission poursuivie par ce type de media est déterminée. Compte tenu de l’origine publique de leur financement, les medias de service public devraient être plus indépendants que les medias privés, qui eux, pour leur financement, sont soumis aux aléas du marché. Par conséquent, la RTG doit être alignée sur les normes élevées d’indépendance, y compris à l’égard du gouvernement. Les questions de la liberté éditoriale des medias de service public et de leur financement sont souvent posées en démocratie. Se référant par exemple à l’Allemagne, plusieurs décisions de sa cour constitutionnelle indiquent que les länder ont une obligation positive tirée de la constitution pour financer l’audiovisuel public, sans que ce financement ne se traduise par une quelconque ingérence de l’État dans l’orientation éditoriale de ces medias. Dans le même sillage, on voit que la BBC au Royaume-Uni, qui a la réputation mondiale d’être un media indépendant est en réalité un diffuseur public, régit par un code de déontologie faisant référence aux meilleures pratiques admises dans l’industrie. In fine, les medias de service public doivent pour leur indépendance garder une distance critique à l’égard de l’État.
En Guinée, deux principaux facteurs font obstacles à l’indépendance des diffuseurs publics. Le premier est la présence d’une forte culture de redevabilité de leurs dirigeants à l’égard du gouvernement et non du public. Le second est le statut des des journalistes qui y travaillent. Pour prétendre à l’indépendance, un changement de cap est indispensable. Une loi doit changer le modèle de recevabilité des diffuseurs publics en rendant le statut de ses journalistes compatible avec la liberté de ton qu’exige le bon fonctionnement d’un media indépendant. Rien n’interdit cependant à l’État, d’avoir un média exclusivement dédié à sa cause.
Réformes ambitieuses
Cette réforme doit porter sur deux grands axes. Le premier axe est la transformation des médias de services publics en des établissements publics autonomes. Il convient à cet égard d’ériger ces médias en différents établissements publics dotés chacun, de personnalité juridique et d’une autonomie de gestion. Le but de cette réforme est de casser le lien de dépendance organique entre ces médias et une quelconque entité ministérielle. Chaque établissement aura un mandat clair, préalablement défini par la loi. De plus, ces médias devraient se doter de codes de bonne conduite, reflétant leur attachement quotidien aux pratiques journalistiques responsables et sérieuses. Le dirigeant de chaque établissement devrait ensuite être désigné par une autorité élue (le Président de la République ou le Premier Président de l’assemblée nationale) pour une période limitée. Avant sa prise de fonction, il devrait faire l’objet d’une audition publique à l’assemblée nationale. Pendant cette séance, il doit annoncer et commenter ses objectifs et la façon dont il entend mettre en œuvre ses priorités. A la fin de chaque année, il doit adresser au Parlement un rapport détaillé de ses activités, afin que celui-ci puisse l’évaluer. Le financement de ces établissements devrait provenir d’une part des recettes réalisées à l’occasion de leurs activités commerciales, et d’autre part, de l’État. Cependant le financement étatique ne devrait pas être assorti de conditionnalités, mettant à mal la liberté éditoriale des médias de services publics.
Le second axe de réforme est l’adaptation du statut des journalistes du secteur public aux exigences d’indépendance propres à la fonction journalistique dans une société libre et démocratique. Ceux-ci sont en effet considérés aujourd’hui comme des fonctionnaires soumis au statut de la fonction publique. Ce statut comporte certes en leur faveur, des garanties d’emploi, mais il les soumet aussi aux obligations de réserve et de loyauté à l’égard de la politique du gouvernement. Ces obligations sont en réalité incompatibles avec la liberté de ton exigé par la pratique journalistique. Dans ces conditions, il est illusoire de s’attendre à l’affranchissement durable des journalistes des médias publics guinéens.
Toutefois, deux options s’offrent pour mettre les journalistes du secteur public dans des conditions de travail compatibles avec l’indépendance exigée par leur profession. La première option consiste à amender la loi portant statut des fonctionnaires de manière à l’adapter aux exigences d’indépendance, d’impartialité et d’objectivité propres à la fonction journalistique. La seconde option quant à elle, consiste à mettre fin au statut de fonctionnaires de ces journalistes en faisant d’eux des employés au sens du code du travail.
L’objectif ultime de cette réforme est de permettre aux journalistes des médias de service public de travailler à l’abri des instructions des membres du gouvernement. Ce qui sera un terrain favorable à l’épanouissement de la « culture des résultats » et au développement d’un excellent leaderschip dans un environnement concurrentiel.
Enfin, ces réformes auront d’importants impacts. On peut entre autres citer le renouvellement de l’offre d’informations au public, la mise en exergue du talent des meilleurs journalistes et l’essor d’une véritable industrie culturelle guinéenne exportable.

Youssouf Sylla, juriste.