Par Youssouf SyllaLa médiatisation des cas de détournement de deniers publics et la main mise de certaines personnalités de la République sur les immeubles de l’Etat au cours des dernières décennies, lorsqu’elles étaient en position d’autorité, donnent du tournis. Ces faits s’ils sont établis, traduisent la négation absolue des règles éthiques dans la gestion des affaires publiques en Guinée. La mise en place, récemment, d’une juridiction spécialisée dans la répression des infractions économiques graves est un pas décisif dans la moralisation de la vie publique. Mais elle doit être rapidement complétée par l’implantation des règles et valeurs éthiques dans le secteur public.
Droit et éthique, un séparatisme artificiel
Vouloir dresser un cloisonnement étanche entre le droit et l’éthique dans l’action publique, c’est porter encore sur soi les traces de la nostalgie des cours de première année en droit. Loin de correspondre à la réalité, ce séparatisme artificiel n’existe que dans l’esprit de ceux qui ferment les yeux sur l’influence phénoménale de l’éthique sur le droit ainsi que sur la prise en compte par le droit, des règles éthiques. La codification de l’éthique est une réalité en droit guinéen, comme l’attestent le Décret N° D/96/205/PRG/SGG/du 5 decembre 1996 portant code de déontologie médicale et le le projet de Loi en date de 2020, portant code de conduite de l’agent public en Republique de Guinée. Ce dernier texte comporte d’importantes dispositions sur l’ »incompatibilité et le conflit d’intérêt » concernant l’agent public. L’article 30 dudit code prévoit que « La conduite de l’agent public ne doit pas être dictée par des intérêts personnels, familiaux ou par son appartenance régionale ou politique. L’agent public ne doit pas participer à une prise de décision en relation avec ses intérêts particuliers ou ceux de ses proches. Il doit veiller à se maintenir à servir les intérêts de l’organisme employeur dans le respect de ses missions et dans l’esprit du principe de l’intérêt général ». L’article 31 est encore plus édifiant. Il indique que « L’agent public a toute latitude, dans le cadre de la loi, d’acquérir des biens, des actions ou autres valeurs mobilières. Si une situation de conflit d’intérêts se présente qui le concerne ou concerne ses proches, il doit en informer par écrit ses supérieurs hiérarchiques afin de s’écarter de tout processus de négociation, d’évaluation, de choix et de décision ». A son tour, l’article 33 du code vient préciser qu’ »il est interdit à tout agent public de se prévaloir de sa fonction pour prendre, influencer ou tenter d’influencer une décision susceptible de favoriser ses intérêts personnels, ceux de sa famille, de son groupe d’appartenance ou de tiers ». Autre chose intéressante dans ce code, c’est la mise en place par son article 42 d’un Observatoire du Code d’Ethique Professionnelle des Agents Publics, en abrégé « OCEPAP ». Ce code s’il est adopté, viendrait s’ajouter à la Loi L/2019/0027/AN du 9 juin 2019 portant statut général des agents de l’État. En contrepartie de leurs droits, les agents de l’Etat sont soumis à d’importantes obligations. Ils doivent servir avec loyauté et probité les intérêts de l’État. Ils ont aussi le devoir de refuser d’exécuter un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l’intérêt public. Ils doivent aussi s’abstenir de tout acte de malversation ou de détournement de deniers publics.
La parenté entre les obligations des agents publics au titre de la loi sur le statut général des agents de l’Etat et au titre de la loi portant code de conduite contenu dans le projet de loi de 2020, est si évidente qu’on pourrait parler d’une veritable communion entre les règles éthiques et juridiques en matière de régulation de l’administration publique guinéenne.
Le juge administratif et l’application des règles d’origine éthique
Outre la consécration des règles éthiques dans les textes législatifs et réglementaires, le juge administratif guinéen, à l’instar de son homologue de France, a tout loisir de consacrer à l’occasion des contentieux soumis à son examen, des principes d’origine éthique. Le droit administratif guinéen tout comme celui de la France dont il s’inspire, n’est pas écrit. Il n’existe dans aucun de ces deux pays, un « code administratif » comme il existe par exemple un code pénal ou un code civil. Le droit administratif est fondé le génie créateur du juge à travers les précédents, la jurisprudence. Il s’agit d’un droit essentiellement prétorien. Ainsi, il est né dans son berceau, la France, ainsi, il se développe, même si on assiste à une codification sectorielle de certaines matières administratives. Saisi donc du contentieux relatif par exemple à l’attribution par contrat ou par décret d’un immeuble relevant du domaine public ou privé de l’Etat, rien n’empêche le juge administratif guinéen de faire application des règles et principes d’origine éthique. Face à l’insuffisance des regles écrites, le juge administratif français, lui, convoque les règles d’origine ethique dans l’appréciation de la légalité d’une décision administrative. Dans le cadre des mesures d’instruction prises par le Conseil d’État dans l’affaire Vincent Lambert, le Conseil, prenant en compte « l’ampleur et la difficulté des questions d’ordre scientifique, éthique et déontologique » que
posaient la décision du centre hospitalier universitaire de Reims de mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielles de Lambert, a invité le 14 fevrier 2014, l’Académie des médecines, le Comité consultatif national d’éthique et le Conseil national de l’ordre des medecins à lui presenter avant fin avril 2014, des « observations écrites d’ordre général de nature à l’éclairer utilement sur l’application des notions d’obstination déraisonnable et de maintien artificiel de la vie au sens de l’article L.1110-5 du code de la santé publique, en particulier à l’égard des personnes qui sont, comme Monsieur Lambert, dans un état pauci=retionnel ».
Ceci montre enfin, pour ceux qui en doutent encore que le juge adminsitratif peut et doit, en plus des règles écrites, dans le cas de leur insuffisance ou absence, apprécier la légalité des décisions administratives en tenant compte aussi des règles éthiques. N’est-ce pas à cause de la place de l’éthique dans le contentieux administratif, que Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État a choisi de s’exprimer le 29 septembre 2015 à l’École nationale de la magistrature sur le thème « Le juge face aux questions éthiques » lors du séminaire de formation continue des chefs de cour d’appel?