Abdoulaye CondéInterpellé par le Gouvernement Ukrainien, l’Union Européenne, les États-Unis et beaucoup d’autres États, le Gouvernement Guinéen n’a pas encore exprimé sa position sur l’invasion Russe de l’Ukraine. Mais, en suspendant le Consul honoraire du pays agressé, le ministre des affaires étrangères, Dr Morissanda Kouyaté ne manifeste t-il pas une tendance ?
Le politologue Guinéen, Kabinet Fofana, sur une chaîne internationale ce matin, évoque , »le Non Alignement » pour analyser la position Guinéenne face à la guerre déclenchée par le Président Russe, Vladimir Poutine contre l’Ukraine.
« Hésitation » pour les uns, « Neutralité » ou « calcul » pour d’autres, toujours est-il qu’aucune de ses postures ne s’explique par la Politique de Non Alignement telle que définie dans la Charte fondatrice de ce Mouvement de 120 Nations.
Officiellement fondé, par 25 pays dont la Guinée, le 1er septembre 1961 à Belgrade (capitale de l’ex République Fédérative de Yougoslavie), dans la logique de la Conférence de Bandung (Indonésie) en 1955, le Mouvement des Pays Non-alignés est une organisation internationale regroupant à ce jour 120 États qui se définissent comme n’étant alignés ni avec ni contre aucune grande puissance mondiale de l’époque (les États-Unis et l’union des Républiques Socialistes Soviétiques). En effet, ce mouvement né durant la guerre froide visait à regrouper les États qui ne se considéraient alignés ni sur le bloc de l’Est ni sur le bloc de l’Ouest.
Plus tard, lors du Sommet de la Havane en 1979, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont adopté une déclaration dont la teneur est « d’assurer l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non alignés dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, la ségrégation, le racisme, et toute forme d’agression étrangère, d’occupation, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part de grandes puissances ou de blocs politiques et de promouvoir la solidarité entre les peuples du tiers monde « .
Indépendance, Souveraineté et Solidarité, oui, mais le Non Alignement n’a jamais voulu dire Neutralité encore moins Hésitation des pays membres face aux crises mondiales.
Et si, 33 ans après la chute du mur de Berlin en 1989, 31 ans après la désagrégation de l’URSS avec l’indépendance de ses anciennes 15 Républiques fédérées durant 68 ans d’union forcée, 31 ans
après la dissolution du Pacte de Varsovie et l’émancipation de ses 6 pays Est Européens de l’influence Moscovite, la Russie est toujours une puissance, mais force est de constater que son emprise militaire sur le monde s’est considérablement amoindrie sinon effondrée, et ses dirigeants depuis Mikhaïl Gorbatchev ont graduellement ouvert les portes du pays au marché libéral. Difficile aujourd’hui dans ces conditions de parler de 2 blocs. Mais, même aux difficiles moments de la guerre froide entre les 2 super puissances, la Guinée et les autres les Pays Non Alignés, généralement, se sont toujours assumés face aux conflits et crises dans le monde sans forcément être tous unanimes. Pendant la crise congolaise des années 60, la Guinée s’est rangée derrière Patrice Lumumba, mais bien de pays Africains dits Non Alignés ont soutenu le colonisateur Belge et les adversaires politiques du dirigeant nationaliste.
Au Proche et Moyen Orient, par exemple, la Guinée et le Mouvement en tant que tel ont toujours soutenu la cause Palestinienne, mais certains de ses membres ont parfois fait preuve de complaisance sinon de complicité face à la Politique sioniste du régime Israëlien. Il en a été de même en Afrique australe où la Guinée a assisté les différents mouvements de libération, combattu le régime d’apartheid d’Afrique du Sud divergent ainsi avec ceux qui prônaient une autre approche dans cette partie d’Afrique. Pendant la guerre du Golfe, le régime Guinéen a pris fait et cause pour le Koweït contre l’envahisseur Irakien pourtant pays membre du Mouvement des Non-alignés. La Guinée a adopté la même ligne de conduite contre la Serbie ( pays où est né le Mouvement), quand elle a opposé la force militaire à l’aspiration des 6 autres États Slaves composant de se soustraire de la République Fédérative socialiste de Yougoslavie dont elle était la
force motrice. Toutes proportions gardées, l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine ressemble exactement à celle de Sadam Hussein au Koweït en 1991.
Aujourd’hui, par rapport aux principes justement du Non Alignement, la Guinée en toute indépendance et souveraineté a le droit d’exprimer clairement sa condamnation de l’agression de l’un contre l’autre. Il est aberrant de cacher sa position ou de brandir une Neutralité derrière ce concept. D’ailleurs où est la neutralité si le ministre des affaires étrangères, Morissanda Kouyaté prend la responsabilité de suspendre le Consul honoraire de l’Ukraine, Charles Sossouadouno ?
À défaut d’une déclaration de soutien, cet acte, dont le principe et la légalité suscitent débats, ne fait il pas croire que le Gouvernement Guinéen préfère Moscou à Kiev ?
À l’heure de la mondialisation, comment peut-on reprocher à un diplomate d’avoir publié une correspondance sur les réseaux sociaux ?
L’ambassadeur Josep Coll qui, plus que le Consul Sossouadouno, s’est adressé en personne aux médias, après l’audience avec le même ministre des affaires étrangères, pour divulguer le contenu du message de l’Union Européenne demandant à la Guinée de condamner l’agression Russe ou d’exprimer sa position, subira t-il également les foudres de Dr Morissanda Kouyaté ?
Au moment où les ressortissants et étudiants Guinéens se cherchent sous l’effet des bombardements, il est particulièrement maladroit de couper le seul lien ombilical entre Conakry et Kiev en prenant une mesure si injustifiée que la suspension du Consul, mais si dangereuse pour nos compatriotes exposés aux dangers et risques de la guerre sans interlocuteur officiel.
l est vrai que la Russie est un vieux partenaire stratégique de la Guinée. Mais, ses sociétés et entreprises opérant en Guinée enrichissent beaucoup plus leurs patrons et l’empire Russe que la Guinée et ses populations.
D’autre part, la Realpolitik veut que les États soient liés par les intérêts mais aussi par les principes et non par les sentiments.
À ce titre, entre les Guinéens dont les vies sont aujourd’hui menacées depuis l’invasion Russe de l’Ukraine, les partenaires internationaux qui financent des projets et programmes de développement socio-économiques en Guinée, d’une part, et un partenaire devenu agresseur isolé et condamné de toute part, financièrement et économiquement menacé, d’autre part où se trouvent les intérêts et principes pour la Guinée ?
Il est important que le Gouvernement tienne compte de cette situation et evalue la crise sur toutes ses facettes.
Après la suspension de la Guinée des instances de la CEDEAO, de l’Union Africaine, après le rejet surtout par le CNRD des sanctions infligées au Mali par l’organisation sous-régionale, il n’est ni
rassurant ni convaincant que le ministre Morissanda Kouyaté tente de justifier l’attentisme Guinéen par le manque de réaction de ses organisations étatiques internationales.
Abdoulaye Condé