Monsieur le Président,
Par la présente missive, la voix d’un jeune guinéen s’adresse à vous. Une voix triste, inquiète et indignée vous parle. Une voix affable mais soucieuse qui regarde avec anxiété et chagrin la situation socio-politique de la République de Guinée.
En effet, lorsque le peuple de Guinée a placé sa confiance en vous à l’issue des élections présidentielles – démocratiques mais très controversées – de 2010, une lueur d’espoir jaillit à cette époque.
Cela était tout à fait normal parce qu’après plus de deux (2) décennies de règne exécrable d’hommes en treillis (militaires), un civil fut investi à la magistrature suprême. L’espoir était permis.
D’ailleurs, ce même peuple n’eut pas manqué de renouveler sa confiance, en vous élisant, en 2015, pour un second et dernier mandat ; quoique les conditions de ce renouvellement eurent fait l’objet de contestations par la classe politique guinéenne.
Monsieur le Président, votre parcours politique en tant qu’opposant eut été scintillant pour ne pas se limiter au mot « remarquable ». Sans doute, vous avez été cet opposant politique qui a défendu âprement, ardemment et indéniablement la justice et les droits l’homme. Vous avez combattu, à votre manière, la violation des lois de la République, la transgression des principes fondateurs de la démocratie, l’injustice sociale, etc.
Cependant, de votre discours politique d’alors à la concrétisation de vos desseins avoués, la distance est immense pour ne pas dire infinie. Autrement dit, le peuple qui avait respiré le vent d’espoir est souffreteux de l’ironie de vos promesses.
Par ces paroles, je ne rebute pas totalement votre bilan. Parce qu’il faut être nihiliste pour réfuter toutes vos œuvres.
Au demeurant, la présente lettre n’a point pour vocation de parler de votre bilan (très critiqué par l’opposition, il faut quand même le souligner), mais, de la crise politique très aigue qui hoche notre pays et qui est sur le point de vaciller davantage la stabilité tant souhaitée.
Monsieur le Président, vous vous souvenez du jour de votre investiture pour ce second et dernier mandat en 2015 ; le Président de la Cour constitutionnelle d’alors, en l’occurrence feu M. Keléfa Sall, s’adressait à vous en ces termes : « (…) La conduite de la nation doit nous réunir autour de l’essentiel. Ne nous entourons pas d’extrémistes, ils sont nuisibles à l’unité nationale. Evitez toujours les départages vers les chemins interdits en démocratie et en bonne gouvernance. Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes. Car, si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant. (…) »
C’est comme s’il avait prédit que des esprits malintentionnés allaient vous inciter à toucher la constitution de 2010 (sur laquelle vous avez prêté serment deux (2) fois) et à manifester la volonté de braver les interdits en démocratie (contre lesquels vous avez vous-même lutté pendant environ quatre (4) décennies).
En votre qualité de juriste, vous saviez absolument qu’aucune situation d’exception ou d’urgence ne pouvait justifier le changement de la constitution de 2010 ; pourtant, vous l’avez changé par le biais de ce que l’on a appelé « un putsch constitutionnel ».
Les conséquences de cet acte ont été lourdes pour notre cher pays. Non seulement de belles âmes sont tombées, des enfants à fleur d’âge ont été injustement tués, de pauvres citoyens ont été, pour les uns violentés, pour les autres arrêtés et détenus arbitrairement ; mais aussi, des familles ont sangloté, des mères et pères de familles pleurent encore et toujours cette violation inouïe des droits de l’homme.
Monsieur le Président, après près de dix (10) ans de gouvernance, les guinéens ont enterré une centaine de victimes. Ces victimes qui manifestaient légitimement leur mécontentement ont été trucidées. Comme si cela ne suffisait pas, il n’y a point de justice ; « la raison du plus fort est toujours la meilleure. » disait La fontaine.
Malgré cet état de fait, des opportunistes et véreux vous invitent à vous présenter pour un troisième mandat tout en sachant que cela constituerait en vecteur d’un imbroglio politique sans précédent.
Ces personnes, invoquant le texte constitutionnel qui a fait l’objet d’un scénario inédit et penaud en droit constitutionnel, vous induisent en erreur. Ils vous induisent en erreur pour plusieurs raisons.
D’une part, il est tout à fait raisonnable d’adapter la constitution du pays à l’évolution de la société qu’elle régit lorsque la nécessité s’impose. Toutefois, le changement de la constitution devient une manipulation lorsqu’il intervient pour assouvir les désirs d’un groupe de personnes. Donc, en acceptant cette demande improbe, vous auriez trahi le peuple de Guinée, votre combat politique et toute cette jeunesse africaine qui voit en vous un modèle et une référence.
D’autre part, les guinéens n’ont pas peur de manifester contre votre « éventuelle » candidature aux présidentielles d’octobre 2020. Les gens vont sortir dans les rues pour exprimer leur désaccord à une telle forfaiture. Alors, comme d’accoutumer, il y aura de victimes.
Monsieur le Président, vous et vous seul êtes en mesure de sauver la Guinée, d’empêcher d’autres personnes de mourir dans l’exercice de leur droit constitutionnel, d’éviter que d’autres familles s’ajoutent à la longue liste des victimes directes de la violence d’Etat.
Il est vrai que l’Etat a le monopole de la violence légitime, mais cette légitimité est conditionnée par le respect des lois de la République, ainsi qu’aux textes internationaux consacrant le respect scrupuleux des droits de l’homme ; vous le savez mieux que moi.
Monsieur le Président, comme moi, des millions de jeunes souhaitent que vous décliniez la demande de ces personnes (les ennemis de la République) qui veulent que le pays sombre dans un grabuge qui nous laissera dans une impasse.
Convoquez votre conscience et pensez à toutes ces femmes qui vont pleurer leurs enfants ; à l’avenir des filles et fils de ce pays. Ne regardez pas les convoiteurs de pouvoir et les profiteurs des caisses de l’Etat (les criminels en col blanc) ; tournez-vous vers ce pauvre citoyen qui vit au jour le jour.
Monsieur le Président, je vous rappelle ici les paroles de Mathieu Kérékou, surnommé le ‘’caméléon’’, qui refusa, en 2001, de réviser la constitution béninoise en vue de s’accrocher au pouvoir : « la constitution vous dit que vous êtes candidat pour cinq (5) ans, merci, renouvelable une fois, merci beaucoup. Vous vous êtes lancé dans l’aventure, si Dieu vous a permis de franchir la première étape, cinq (5) ans ; la deuxième étape ; vous êtes au bout du rouleau et vous vous entêtez en disant : je veux réviser la constitution ; alors vous ne respectez plus la volonté de Dieu. »
Par ailleurs, vous et vos pairs de la CEDEAO avez condamné avec fermeté le coup d’Etat au Mali ; alors ne cautionnez pas un coup d’Etat constitutionnel en Guinée en se présentant aux prochaines présidentielles. Faites appel à votre sens de responsabilité dû à l’âge et à l’expérience de la vie. Dites non à ce projet immonde et cédez le pouvoir à date.
Vous en demandant d’en prendre acte, Monsieur le Président de la République de Guinée, veuillez recevoir mes salutations respectueuses.
Abdoulrahimy DIALLO, juriste
Dakar, le 29/08/2020