Mamadi Camara, sa famille et ses proches réclament 1,2 million à la Ville de Montréal et à la Couronne après que l’homme de 31 ans eut été arrêté à tort, l’hiver dernier. Disculpé de tout soupçon après son incarcération, il garde de lourdes séquelles, selon le document de cour transmis aux médias par ses avocats.
M. Camara et sa femme, Saran Diawara, font partie des demandeurs, ainsi que trois membres de la famille et un couple de voisins qui sont des amis proches, selon la demande introductive d’instance.
En février dernier, Mamadi Camara a été accusé à tort d’avoir tenté de tuer Sanjay Vig, un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il a été détenu pendant près d’une semaine, bien qu’il clamait son innocence.
Le Montréalais originaire de Guinée a été innocenté grâce à une vidéo de surveillance du ministère des Transports du Québec montrant une partie de l’altercation.
ans la demande introductive, on dénonce les propos jugés « mensongers » de l’agent Sanjay Vig, citant un cas de profilage racial envers M. Camara, un universitaire sans casier judiciaire.
Il est question également de « l’arrestation brutale » de M. Camara, blessé à la joue après avoir été immobilisé au sol. Un agent a placé sa botte sur son visage en le traitant d’imbécile, selon la demande.
Peu après son arrestation, il est emmené au centre opérationnel, où ses vêtements sont saisis.
Il doit se déshabiller complètement. « M. Camara se sent humilié », explique-t-on.
Tout au long des évènements, l’homme explique plusieurs fois avoir été témoin de l’agression.
M. Camara est transféré au centre de détention de Rivière-des-Prairies, « placé dans une camionnette sans autre vêtement qu’une jaquette et des pantoufles » en plein hiver. La blessure à la joue causée lors de son arrestation ne sera pas soignée, « malgré ses demandes répétées ».
On interroge sa famille et ses proches, demandant entre autres s’il buvait ou fumait, s’il avait des dettes ou s’il battait sa conjointe.
Mme Diawara, la femme du suspect innocenté, a vécu seule dans l’angoisse pendant près d’une semaine. Elle était alors enceinte de jumeaux et a dû être hospitalisée.
Mody Barry et Mariame Diallo, voisins et amis proches de M. Camara et sa femme, disent avoir été détenus dans un autobus pendant des heures au froid. Leurs enfants étaient gelés et avaient peur. La plus petite a uriné dans son pantalon.
L’entourage de M. Camara – dont sa belle-sœur enceinte – a été heurté et humilié par le ton des policiers à leur égard. Les proches et voisins ont vécu du stress et certains ont dû s’absenter du travail.
Pas l’issue espérée
« [M. Camara] est une personne sage et réfléchie. Depuis le début, il démontre beaucoup d’ouverture à la négociation », explique son avocate, Me Virginie Dufresne-Lemire.
Poursuivre la Ville n’était donc pas l’issue espérée par l’homme devenu père de deux jumeaux en mai dernier. Les procédures judiciaires peuvent prendre des mois et le procès n’aura pas lieu avant un ou deux ans. « Ce n’est pas un soulagement pour M. Camara et sa famille, mais une autre étape dans un processus qui sera difficile. Un procès, c’est très demandant émotionnellement. »
L’avocate de M. Camara dénonce une mauvaise analyse des faits de la part du SPVM. « Il y a eu une vision tunnel et la suite a provoqué énormément de conséquences. »
L’homme de 31 ans et son entourage gardent de lourdes séquelles liées aux évènements de l’hiver dernier.
Les demandeurs estiment que l’enquête a été faite « de manière précipitée et sans objectivité ; elle a été bâclée et aucun élément de preuve n’incriminait M. Camara ».
Le 28 janvier 2021, vers 16 h 15, Mamadi Camara est intercepté par l’agent Sanjay Vig. Le policier lui reproche d’avoir utilisé son cellulaire au volant. M. Camara demeure calme tout en niant avoir utilisé son cellulaire au volant.
L’agent Vig sort de son véhicule pour retourner voir M. Camara avec un constat d’infraction, selon la demande consultée par La Presse. « De loin, l’agent Vig demande à M. Camara de mettre son masque. Alors que M. Camara est en train de mettre son masque, une tierce personne s’approche derrière le policier et l’attaque brutalement. »
L’agresseur s’empare de l’arme du policier d’expérience. Il donne un coup à la tête de Sanjay Vig alors qu’il se trouve derrière lui. Avant de tomber au sol, l’agent Vig frappe son assaillant au visage.
Stressé et abasourdi, l’homme, alors chauffeur pour Uber, a appelé la police.
Il indique à l’un des agents sur place qu’il s’est fait arrêter et que pendant l’intervention, le policier a
été agressé par « un homme noir avec des dreads ».
L’agent ne remarque alors aucune blessure sur le visage de M. Camara. La conversation demeure calme et M. Camara est autorisé à quitter les lieux.
L’agent Vig a indiqué à ses collègues avoir été attaqué par la dernière personne qu’il a arrêtée, soit M. Camara.
Il est donc vite devenu suspect dans cette affaire, mais sera disculpé après avoir passé six jours en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis.
Le 26 mars dernier, le SPVM annonce l’arrestation à Toronto d’Ali Ngarukiye, qui doit être jugé pour avoir désarmé et agressé l’agent Vig.
L’opposition réclame le port de caméras portatives
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a réagi mercredi par l’intermédiaire de son attachée de presse. Elle dit vouloir prendre connaissance du rapport d’enquête du juge Louis Dionne, qui est attendu d’ici le mois d’août, avant de commenter le dossier de M. Camara.
« Nous sommes très sensibles à ce que M. Camara a vécu et souhaitons que toute la lumière soit faite dans ce dossier, le tout en respect des droits de l’ensemble des intervenants. Ce qui est clair, c’est que le recours de M. Camara ne change en rien notre volonté de collaborer avec ce dernier. Notre Service des affaires juridiques analysera la requête de M. Camara et des autres demandeurs présentée à la Cour supérieure et nous formulera des recommandations. »
L’opposition croit quant à elle que des caméras portatives permettraient de prévenir de telles erreurs. « La triste histoire de Mamadi Camara démontre l’importance d’équiper les policiers de caméras portatives, équipement qui fait partie des outils qui peuvent prévenir des erreurs majeures. Des drames comme celui-là ne doivent plus jamais se produire. C’est ce que demande Ensemble Montréal depuis plusieurs années, mais l’administration actuelle promet les caméras du bout des lèvres par pur électoralisme », a indiqué Abdelhaq Sari, porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique.
Source : lapresse.ca