Il y a 37 ans. Le 22 décembre 1985, le colonel Lansana Conté livrait son discours programme. Le soldat dans l’âme qui prit le pouvoir par la force en 1984 a fait un diagnostic sévère du système Sékou Touré. Après 24 ans de règne, Lansana Conté laisse une Guinée sans Etat, une dictature sanglante, une économie inexistante. Bref, un pays exsangue. A voir la Guinée d’aujourd’hui, son discours reste d’actualité et a le mérite d’être relu. Pour un bilan sans complaisance. Discours intégral Guinéennes, Guinéens, Je présente aujourd’hui au pays un Programme et des Hommes pour le réaliser. De quoi la Guinée a-t-elle besoin ? De producteurs libres et entreprenants, d’un État au service du développement. Pour l’instant, elle n’a ni les uns ni l’autre.
Pour mesurer l’ampleur de la tâche qui nous attend, il faut comprendre comment fonctionne le système dont nous avons hérité.
Au départ, un groupe d’hommes se rend maître du pays et des richesses de son sous-sol : L’or, les diamants, la bauxite pillés directement ou par compagnies minières interposées. Alors que ces hommes vivent dans l’opulence, le pays est laissé à l’abandon. Les discours détournent la population des réalités.
Durant 26 années, la politique remplace la production. Les conséquences en sont dramatiques pour l’économie, pour les hommes, pour l’État.
La santé d’une économie se mesure à la solidité de sa monnaie. Le Syli est à l’image de l’économie guinéenne : gravement malade. La fermeture des frontières, l’isolement économique du pays, permettent de le maintenir à un cours artificiel très supérieur à sa valeur réelle. Les maîtres du pays peuvent ainsi importer à bon compte les produits de luxe qu’ils consomment en abondance et trafiquer sur les devises et les marchandises. Mais toutes les activités sont désorganisées.
Une monnaie surévaluée facilite les importations et décourage la production locale. Pourquoi produire sur place quand on peut acheter moins cher à l’étranger ? Le riz guinéen laisse la place au riz importé, vendu cinq fois moins cher que sa valeur réelle. Par le ravitaillement, le pouvoir tient le pays : il ne se contente pas d’acheter les consciences, il achète aussi les ventres. Le riz et le café guinéens fuient au-delà des frontières, vendus à bas prix mais en devises changées au marché parallèle. Ceux qui les vendent gagnent quand même, mais la Guinée y perd : elle nourrit l’étranger sans profit et doit importer à grands frais de quoi se nourrir. Les devises lui manquent pour réaliser les investissements indispensables au développement économique et au progrès social : routes, centrales électriques, hôpitaux, écoles…
Dans les villes, la population a pris l’habitude de vivre des miettes du système : Chapardages et trafics de toutes sortes. La production est délaissée ; le résultat, c’est le marché parallèle, les pénuries réelles ou provoquées, la hausse des prix. L’esprit d’initiative est découragé ; s’enrichir est mal vu, se perfectionner dangereux. L’immobilisme, l’irresponsabilité deviennent des vertus particulièrement chez les fonctionnaires. Le vol et la corruption règnent. Comme les ressources naturelles, les ressources humaines sont gaspillées ; comme les biens matériels, les valeurs morales se dégradent.
De la maison Guinée, seule la façade est entretenue ; seule la politique étrangère intéresse le pouvoir. A l’intérieur, l’État a disparu : l’impôt ne lui parvient plus ; la Justice n’est pas rendue ; au lieu d’arrêter les voleurs, la Police vole pour son propre compte ; chaque fonctionnaire prélève sa dîme.
L’État, ou plutôt ce qui en tient lieu, est devenu le premier brigand de Guinée. A sa place, pour cacher le système, il y a le Parti. Aujourd’hui, le Parti a disparu mais le système est toujours là. Il se love dans les ruines de l’État et de l’économie. Pour l’en chasser, il faut faire de profondes réformes.
Cela ne se fera pas en un jour, ni sans efforts. La période de transition sera difficile.
Nous ne nous en sortirons que par le travail. Mais cette fois-ci, Guinéens, vous ne vous sacrifierez pas pour le seul profit d’une poignée d’hommes ; vous êtes maintenant responsables de votre avenir ; c’est votre propre bonheur que vous allez construire.
Bâtir un état au service du développement
D’abord, bâtir un État au service du développement.
La Guinée a besoin de fonctionnaires au service exclusif de leur pays; de fonctionnaires responsables et efficaces; de fonctionnaires conscients d’appartenir à une équipe qui joue une partie décisive pour notre avenir. Sans un objectif commun, sans solidarité entre membres, une équipe ne gagne pas. Aujourd’hui, dans l’Administration, chacun garde la balle pour soi; l’information ne circule pas; les collègues et les subordonnés sont ignorés.
Les compétences, quand elles existent, sont mal utilisées. Le choix des hommes dépend plus des relations personnelles que des qualifications réelles. Les structures sont inadaptées et les responsabilités totalement diluées : personne n’ose prendre de décision, tout remonte jusqu’au sommet.
Cela n’est plus possible. Un homme ne peut diriger à lui tout seul un grand pays comme le nôtre. Pour que chacun sache ce qu’il doit faire, soit capable de le faire et ait envie de le faire, nous allons réformer l’Administration.
A la Fonction Publique, nous avons hérité de la pagaille.
Pour savoir où nous en sommes, nous recensons les fonctionnaires et les travailleurs de l’État. Parallèlement, sont définis les missions de chaque service, les structures appropriées et les postes à pourvoir. Ensuite, des hommes seront affectés à ces postes en fonction de leur compétence. La sélection se fera à partir d’une formation préalable effectuée par des spécialistes du secteur concerné. Les agents non retenus seront placés en position de disponibilité spéciale : leur salaire sera maintenu mais l’accès aux locaux de la Fonction Publique leur sera interdit. Certains d’entre eux, après une formation complémentaire, retrouveront leur place dans l’Administration. La reconversion dans le secteur privé sera encouragée par des primes de départ, des prêts bancaires garantis et des sessions de formations. Ceux qui ne sauront pas saisir toutes les chances que nous leur offrons, soit de réinsertion dans la Fonction Publique, soit de reconversion dans le secteur privé, seront licenciés à la fin de la période de restructuration.
Les besoins de la nouvelle Administration guinéenne seront limités. Nous pourrons donc réduire les effectifs et mieux payer ceux qui restent au service de l’État. Rapidement, il faut que le salaire du fonctionnaire lui permette de vivre correctement avec sa famille, sans qu’il ait besoin de chercher ailleurs des compléments de revenus. Je tiens à ce qu’elle soit menée avec toute l’autorité et la compétence nécessaires. A cet effet, je crée auprès de la Présidence de la République un Commissariat Général à la Réforme Administrative directement placé sous mon autorité. Pour la grande majorité des fonctionnaires, la situation actuelle cumule les inconvénients. Responsabilisés, qualifiés, bien rémunérés, demain ils formeront l’Administration du Redressement National.
Remettre l’économie en marche
Un véhicule abandonné, laissé longtemps sans entretien, c’est l’économie guinéenne d’aujourd’hui. La remettre en marche est notre affaire à tous. Pour démarrer sur des bases saines, il faut d’abord la réviser entièrement; ensuite, veiller à ce qu’elle ne dérape pas, et pour cela, maintenir les équilibres nécessaires; enfin, savoir où nous voulons aller, sinon, d’autres nous ferons aller là où nous ne voulons pas.
Je propose aujourd’hui aux Guinéens un projet de développement que nous aurons à préciser et à réaliser tous ensemble.
Ce projet, c’est l’autosuffisance pour tous les produits essentiels au bien-être: Alimentation, logement, habillement… C’est la maîtrise du marché intérieur, par des Entreprises nationales conçues à l’échelle de nos besoins.
Dans la réalisation de ce projet, l’État prendra ses responsabilités. Il n’agira plus à la place des Guinéens, mais, quand c’est nécessaire, les aidera et les protégera. Notre économie doit se roder ; elle ne peut, sans risques, s’ouvrir brutalement à la concurrence étrangère ; elle s’engagera progressivement sur la voie du libéralisme.
Le redressement économique passe par l’assainissement monétaire
D’abord, il faut réviser le véhicule. Le préalable à tout redressement économique, c’est l’assainissement monétaire.
En 1986, la Guinée aura une nouvelle monnaie. Changer des millions de billets ne s’improvise pas. Nous le ferons lorsque toutes les conditions de réussite de l’opération seront réunies. Tout détenteur de devises peut déjà les changer à un taux qui reflète mieux la vraie valeur de notre monnaie. Un système bancaire digne de ce nom se met en place.
La réorganisation de la Banque Centrale est en bonne voie. Dès demain, les autres Banques d’État seront fermées. Trois Banques à capitaux mixtes ou privés, guinéens et étrangers, sont ou seront à brève échéances installées à Conakry et dans l’intérieur du pays. Ce sont de vraies Banques, vous pouvez avoir confiance en elles ; votre argent est, en permanence et intégralement, à votre disposition ; si vous avez un projet sérieux, vous pouvez emprunter.
Comme la monnaie et le crédit, les instruments juridiques sont essentiels au développement économique. Ces derniers mois, un effort de réglementation a été accompli. Il est encore marqué par l’esprit du système et traduit plus le souci du contrôle et du trafic d’influence que la volonté de promouvoir la libre entreprise. Je veux que chaque Guinéen ait la plus grande liberté d’investir et de créer l’Entreprise de son choix. Les agréments vont être supprimés et les procédures simplifiées au maximum. Une Commission est chargée de proposer d’urgence les mesures à prendre pour établir en Guinée l’environnement institutionnel le plus favorable à l’épanouissement de l’initiative privée, prioritairement celle de nos compatriotes.
L’économie a besoin de règles de jeu claires et précises que chacun sache ce qu’il peut faire et ce qu’il ne doit pas faire. Ceux qui respecteront ces règles n’auront rien à craindre de l’État; leur réussite ou leur échec dépendra de leur capacité à affronter la concurrence.
Satisfaire les besoins des clients et réaliser des profits, cela doit aussi être la règle pour l’actuel secteur d’État. C’est dans cette perspective que nous allons l’assainir. Une profonde rénovation avec réduction des effectifs du personnel s’impose pour la plupart des Entreprises qui le composent. Sauf dans les domaines stratégiques, nous souhaitons que ces Entreprises soient reprises par le secteur privé ou transformées en Sociétés d’économie mixte. Nous ne pouvons tenir compte du seul critère de rentabilité immédiate pour fermer celles qui devront l’être. Nous devons, en effet, éviter de priver le pays de capacités de production qui demain seront utiles pour atteindre notre objectif d’autosatisfaction des besoins élémentaires.
Les droits des travailleurs seront préservés : préalablement à tout changement de statut, des Conventions collectives seront négociées par secteur d’activité ; un droit du travail moderne garantira à la fois les intérêts des travailleurs et ceux des Entreprises.
Priorité aux dépenses productives
Dans une économie de libre entreprise, l’État doit maintenir les principaux équilibres économiques : Budget, échanges extérieurs. Sinon, le véhicule dérape : La monnaie se déprécie et les réformes échouent. Avant de prélever des impôts, il faut créer la richesse. Notre fiscalité encouragera les investissements créateurs d’emplois. Nos recettes budgétaires sont limitées ; nous les utiliserons au mieux des intérêts du pays, en réduisant les frais de fonctionnement de l’État et en donnant la priorité aux dépenses productives.
Les devises aussi sont rares, et, après la dévaluation, elles coûteront beaucoup plus cher : il faut les économiser et les faire entrer en plus grande quantité. En cela, nos compatriotes de l’extérieur peuvent beaucoup nous aider : si, tous les mois, chacun d’eux envoyait par la voie officielle 5.000 francs CFA à sa famille, cela représentait pour la Guinée deux fois les revenus de la bauxite.
Mais l’important est de produire afin de réduire les importations et d’accroître les exportations. L’État doit aujourd’hui, prioritairement, aider à relancer la production : elle seule procurera des revenus aux Guinéens, à ceux qui investissent à l’intérieur du pays. Nous allons mettre en place un système d’aides à la création et au développement des Entreprises, en donnant la priorité à ceux qui investissent à l’intérieur du pays.
Pour le redressement national, nos paysans sont en première ligne. Il suffit de sortir de Conakry pour se rendre compte de l’effort qu’ils ont accompli avant même que l’aide prévue leur soit parvenue. Pour leur faciliter la tâche, l’État fera tout ce qui est en son pouvoir.
Dans les villes, la chute des revenus parallèles va poser de graves problèmes sociaux. Les experts ne pensent pas toujours à ces choses-là et les réformes se cassent le nez dessus. Il faut remplacer d’urgence les revenus spéculatifs qui vont disparaître par des revenus provenant du travail. Les Organisations Internationales et les pays amis doivent savoir que la création et le développement des petites et moyennes Entreprises sont, à court terme, nos priorités absolues. C’est par des actions ponctuelles, concrètes et bien adaptées aux besoins de chacun que l’État peut intervenir efficacement. Par exemple, en favorisant le regroupement volontaire des entrepreneurs d’un même corps de métier pour l’approvisionnement et le stockage des matières premières.
Le secteur du bâtiment est celui où les potentialités de production comme les besoins à satisfaire sont les plus importants. Que ce secteur s’organise rapidement, l’État lui confiera en priorité toues les constructions et rénovations de bâtiments administratifs. Je souhaite que dès 1986 un important programme de construction de locaux scolaires puisse être réalisé par des entrepreneurs guinéens.
Produire et commercialiser guinéen
Produire et commercialiser guinéen doit être aujourd’hui notre mot d’ordre. Il n’y a pas d’économie libre sans commerce libre.
Aujourd’hui en Guinée, il y a le commerce d’État et les trafiquants, le premier servant à alimenter les seconds. Dans les magasins d’État, les produits sont détournés et vendus sur le marché parallèle à des prix exorbitants. L’intérêt de tous est que s’instaure en Guinée un vrai commerce, travaillant sur de grandes quantités et pouvant donc se contenter de bénéfices raisonnables en vendant les marchandises à leur juste prix. Actuellement, pour certains privilégiés le kilo de riz est à 20 Sylis ; les autres le payent 100 à 150 Sylis.
Par le libre jeu du marché, le prix du riz s’établira à un niveau intermédiaire correspondant à son coût réel plus le bénéfice normal du commerçant. La régularité des prix et des approvisionnements sera assurée et la population y trouvera son compte; le pays aussi, car seule une juste rémunération du travail de nos paysans permettra d’arriver à l’autosuffisance alimentaire.
Aujourd’hui, je prends les décisions suivantes : Les cartes de ravitaillement sont supprimées ; les magasins d’État ALIMAG et ALIDI sont fermés, d’autres le seront ultérieurement.
Au cours de l’année 1986, l’État s’efforcera de mettre les devises nécessaires au paiement des importations à la disposition des commerçants qui aurons passé avec lui un accord sur la nature des marchandises à importer et sur le niveau des prix au détail.
L’assainissement économique n’ira pas sans sacrifices. Les prix des produits importés par l’État, c’est-à-dire payés en devises obtenues au cours officiel, vont fortement augmenter. Ces prix sont aujourd’hui anormalement bas, tout comme le sont les salaires des agents de l’État. Nous allons réajuster les uns et les autres. Des subventions seront provisoirement accordées aux principaux services publics, tels que les transports, pour que ceux-ci ne répercutent pas sur les usagers l’intégralité des hausses qu’ils auront à supporter. De telles actions sont nécessaires à un développement et social harmonieux.
Priorité à l’amélioration des conditions de vie dans les campagnes
L’État ne doit ni produire ni commercialiser lui-même; mais il ne peut se contenter d’être un spectateur passif du jeu économique : sinon, c’est la loi de la jungle.
Nous connaissons les effets néfastes du libéralisme sauvage sur la société africaine. Nous ne voulons pas de l’écrasement des faibles par les forts : profiteurs du système, spéculateurs et groupes internationaux. Nous ne voulons pas du seul critère de rentabilité immédiate pour le choix des investissements : nos campagnes seraient délaissés. Nous ne voulons pas qu’une minorité de privilégiés sous influence extérieure impose son modèle de société à un peuple resté fidèle à ses traditions.
Nous voulons tout le contraire. La mise en valeur de la Guinée par les Guinéens eux-mêmes : ils sont assez nombreux, intelligents, entreprenants. Nous voulons que notre pays se développe prioritairement avec les nationaux, sans dépendance de l’extérieur qui ne puisse être rattrapée par la suite. Les étrangers qui désirent investir en Guinée sont les bienvenus s’ils ne s’ingèrent pas dans les affaires de l’État et s’ils investissent en priorité à l’intérieur du pays. Ce sont nos paysans qui vont reconstruire le pays, assurer l’autosuffisance alimentaire et le développement de ses exportations. Nous devons empêcher l’exode rural et favoriser le retour à la terre en donnant la priorité à l’amélioration des conditions de vie dans les campagnes.
Solidarités et Décentralisation
Nous faisons le choix d’une société fondée sur les solidarités naturelles mises au service du développement. Renforcer ces solidarités là où elles existent encore, c’est l’objet de la décentralisation. Les créer aux niveaux plus complexes de la vie économique et sociale, c’est l’enjeu de la planification contractuelle et décentralisée. Autour de ces deux axes, doivent s’articuler l’ensemble de nos politiques.
Les traditions de coopération et d’entraide sont toujours vivantes dans les campagnes. Grâce à elles, la Guinée a survécu à 60 années de colonisation et 26 années de dictature. Pour construire une maison, récolter un champ, secourir un malade, nos populations se regroupent spontanément. Il ne s’agit pas là de politique mais bien de solidarité. Je songeais à ces solidarités naturelles quand j’ai proposé à nos populations rurales de constituer des Districts.
Je n’ai pas toujours été bien compris. Dans beaucoup d’endroits on a reconstitué les P.R.L, les anciens dignitaires ont accaparé le Pouvoir; ailleurs, on a créé des Districts trop étendus : les villages les plus éloignés du chef-lieu sont oubliés, sauf quand il s’agit de payer l’impôt. Là-dessus, on ne peut rien construire de durable.
Le District doit regrouper des villages qui ont tissé entre eux des liens étroits, souvent fondés sur des relations de parenté ou d’alliance, et qui ont l’habitude d’organiser leur vie quotidienne sur des bases collectives. Leurs habitants n’auront alors aucune difficulté à choisir ceux qui sont dignes de les représenter ni à décider des mesures d’intérêt collectif à prendre.
Partout où cela est nécessaire, et sans qu’aucune contrainte ne leur soit imposée, nos villageois doivent redéfinir les limites de leur District et désigner de nouveaux représentants. Les Districts doivent permettre aux populations de gérer en toute liberté leur mode de vie traditionnel. Mais leur taille est insuffisante pour entreprendre des actions de développement économique. Pour aménager une route, faire un petit barrage, défricher une terre, créer un marché, faire fonctionner une école ou un dispensaire, il faudra souvent rassemble les forces de plusieurs d’entre eux.
Entre Districts voisins se créeront progressivement de nouvelles solidarités et leurs populations prendront conscience de la nécessité de se regrouper au sein d’unités plus vastes. Ce seront les Communautés Rurales de Développement que je souhaite voir se mettre progressivement en place des nouvelles Collectivités, qui s’administreront librement.
Parallèlement, au niveau des villes, des Communes seront créées à partir des Quartiers. Ces nouvelles Collectivités s’administreront librement et aurons à leur disposition des ressources suffisantes pour leur assurer une réelle autonomie financière.
Les moyens d’intervention de l’État seront regroupés au niveau des Préfectures. Outre les actes qui relèvent toujours de la puissance publique, Justice, Police, état-civil, cette intervention sera essentiellement une assistance au développement. Les moyens nécessaires seront placés entre les mains de mes représentants directs et exclusifs, les Préfets, qui auront ainsi la pleine responsabilité, devant moi et devant les populations, de la mise en œuvre, dans leur Préfecture, de la politique du Gouvernement.
Les actuelles Circonscriptions Territoriales ont servi au précédent régime à imposer l’intervention du Pouvoir politique central dans tous les actes de la vie quotidienne. Elles seront progressivement supprimées et remplacées par des unités plus conformes aux vœux et aux besoins des populations, ainsi qu’aux réalités culturelles et économiques du pays.
Dans un premier temps, pour assurer le redressement vertical la Préfecture sera le lieu d’intervention de l’État et la Communauté Rurale de Développement le lieu d’action des populations. Ces Communautés vont promouvoir le développement économique de nos campagnes.
Priorité aux micro-réalisations
Routes ou puits, écoles ou dispensaires: Nos paysans sont les meilleurs juges de leurs besoins. Ces besoins, ils peuvent en partie les satisfaire avec les ressources humaines et financières à leur disposition. Ils doivent d’abord compter sur leurs propres forces, mais également sur de l’aide de l’État et de la Communauté internationale. Cette aide n’ira pas spontanément dans les villages: la tendance est aux grands projets qui coûtent des millions de dollars: les petits projets sont oubliés.
Je veux inverser cette tendance et donner vraiment la priorité aux micro-réalisations. Pour y parvenir, nous allons associer nos Collectivités Locales à l’élaboration de la planification. Chaque Communauté devra définir les investissements qu’elle souhaite réaliser en priorité sur son territoire, les moyens humain et financier dont elle dispose et ceux dont elle manque pour les effectuer. Ces projets seront rassemblés au niveau préfectoral puis au niveau national où seront assurées la coordination et la cohérence nécessaires. Ceux qui auront été retenus seront intégrés au Plan National d’Investissement qui aura ainsi un important volet d’exécution local. Une part importante des ressources affectées au développement par l’État et la coopération internationale sera répartie entre les différents projets sur une base contractuelle : l’État apportera sa contribution dans la mesure où la Collectivité Locale aura mobilisé ses propres ressources.
Une planification contractuelle et décentralisée
Ainsi, la planification contractuelle et décentralisée sera l’outil essentiel d’un développement équilibré de la Guinée.
Rattaché à la Présidence de la République, le Ministère du Plan et de la Coopération Internationale va définir un projet de développement pour le pays et vérifier que les différentes politiques sectorielles sont cohérentes avec ce projet. Il va élaborer le Budget National d’Investissement de l’État et, en liaison avec le Ministère de l’Économie et des Finances, en assurer le suivi technique et financier. Enfin, il va définir une stratégie de l’endettement.
La Guinée a besoin de l’aide internationale. Mais un jour, cette aide il faudra la rembourser. Pour ne pas laisser une dette trop lourde à ceux qui viendront après nous, nous allons sélectionner les projets à réaliser et donner la priorité aux investissements qui favorisent le développement du pays. La Guinée est engagée dans une course de fond. Certains font une course de vitesse et signent n’importe quoi, au nom de l’État ! Le Ministère du Plan et de la Coopération Internationale doit mettre fin à ce gaspillage. Il doit également coordonner l’action des experts étrangers en service auprès de notre Gouvernement et veiller à ce que cette action soit conforme aux orientations de notre politique.
En Guinée, on ne sait plus faire marcher un État ni une économie. Il faut réapprendre. Pour nous aider, j’ai fait venir des experts. Ils sont là pour servir notre pays, pas pour le diriger à notre place. L’expert connaît mal les réalités locales : Il doit travailler sous notre contrôle et avoir à ses côtés des Guinéens capables d’apprendre à son contact et le remplacer le jour venu. Les experts coûtent très chers, surtout ceux des Sociétés Privées; nous avons des cadres très qualifiés; nous leur ferons appel. Il y a trop d’experts à certains endroits, pas assez à d’autres: par manque de coordination, l’assistance technique est mal utilisée. Il faut y mettre de l’ordre. Cette assistance est parfois très efficace. Certains experts se sont mis au service de notre pays avec compétence, dévouement et sans arrière-pensées. Je tiens à les féliciter et à les encourager. Nous devons nous garder de deux excès: Penser que nous ne sommes bons à rien, et que seuls les étrangers nous sortirons d’affaire, croire que nous pouvons nous débrouiller tous seuls, sans aucune aide extérieure.
Ne vous inquiétez pas, Guinéens: je ne laisserai pas recoloniser la Guinée par qui que ce soit; nous saurons préserver une Indépendance acquise dans des conditions dont nous sommes fiers; mais cette fierté ne doit pas être mal placée. Il nous faut connaître nos limites et apprendre à les dépasser. Ce n’est plus en fermant nos frontières que nous nous rendrons maîtres de notre destinée, c’est en nous perfectionnant dans tous les domaines et en renonçant définitivement aux erreurs du passé.
Faire de la Guinée un état de droit
Le 3 avril 1984, nous avons abattu une dictature sanglante. Sans excès ni vengeance ; sans verser une goutte de sang. Nous avons tourné le dos aux comportements contre lesquels nous nous sommes dressés.
L’opinion internationale a salué le nouveau régime avec étonnement, et admiration. On a trop attendu de la Guinée en matière de droits de l’homme. Les hommes ne changent pas vite ; les moments de souffrance ne s’oublient pas facilement. Quand l’occasion leur fut donnée, certains se sont vengés sur ceux qui symbolisaient un passé abhorré. Nous sommes retombés dans le cycle infernal de la répression et de la vengeance.
Je suis profondément convaincu qu’il faut cesser d’entretenir des ressentiments qui accentuent nos divisions, et je souhaite que tous partagent cette conviction. Sachons surmonter nos faiblesses et cessons de regarder derrière nous. Ce sera plus facile bientôt, quand le système aura été définitivement abattu. Aujourd’hui, ce système est encore présent dans ce qu’il a de pire, dans des pratiques que notre population espérait à jamais révolues.
Le comportement de certains agents de l’État est inadmissible. Les détentions arbitraires dont le seul objet est de soutirer de l’argent à des innocents doivent immédiatement cesser. Les Ministres de la Justice et de la Sécurité ont une tâche impérieuse et urgente à remplir : Faire de la Guinée un État de Droit, un Etat respectueux des Droits de l’Homme et des Libertés individuelles.
Renforcer l’unité nationale
Un pays uni et un pouvoir efficace : Pour mieux atteindre ce double objectif, j’ai décidé de reformer en profondeur nos Institutions.
L’équilibre et la solidarité entre nos Régions constituent la pierre angulaire de notre politique de développement.
Actuellement, ceux qui dirigent la Guinée sont plus soucieux de se faire connaître à l’étranger que d’agir pour la transformer. Tant qu’à voyager, aller dans nos Régions est plus utile !
Pour renforcer notre unité, le C.M.R.N. va être présent dans tout le pays. Pour rendre notre action plus efficace, des hommes qui ont parfaitement compris le sens de notre politique vont aller la mettre en œuvre à l’intérieur du Territoire. Dans la difficile période de transition que nous traversons, il y a plus de responsabilité à diriger une Région qu’un Département ministériel. J’ai décidé de créer des postes de Ministre Résident à la tête de chacune d’elles et d’y placer des hommes en qui j’ai entière confiance tant sur le plan de la fidélité aux principes du C.M.R.N. que sur celui de leur capacité à assumer une tâche particulièrement difficile. Je sais qu’ils accompliront avec conscience et courage leur mission au service de la Nation.
Dans le même souci d’une meilleure administration du Territoire, j’ai nommé à la tête de chaque Préfecture des enfants du pays: placés sous le double contrôle du Pouvoir central et de la Communauté dont ils sont issus, ils auront à cœur de s’acquitter le mieux possible de leur fonction.
Personne ne doit être oublié dans le développement national. Notre unité en sera renforcée.
Désormais, je souhaite parler aux Guinéens sans avoir à me référer ni à leur origine, ni à l’endroit où ils vivent. Tous tiennent la même place dans mes préoccupations. Tous ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Chacun peut participer à la place qui est la sienne et à sa manière à la reconstruction matérielle et morale du pays. A cette œuvre de reconstruction, le nouveau Gouvernement va s’atteler avec une ardeur renouvelée. De nouvelles structures rendront le travail de chacun et de tous plus efficace. La confiance que vous me portez, Guinéens, je vous demande de l’accorder à l’équipe que j’ai réunie autour de moi. J’ai essayé de faire le meilleur choix possible. J’ai certainement oublié des hommes de grande valeur. Tous, s’ils le désirent, trouveront à s’employer au service de leur pays.
Je demande aux Ministres et à tous les Hauts responsables du pays de remplir la charge que je leur confie en accord avec les grandes orientations que je viens de présenter à la Nation.
Des hommes responsables et solidaires vont édifier en Guinée une Société fondée sur des contrats librement consentis. Des liens brisés par un régime qui a survécu en faisant le vide autour de lui seront renoués. Au début, ces liens seront fragiles : La Guinée sera convalescente. Je demande à tous d’en tenir compte et de n’avoir qu’une seule préoccupation : Servir le pays.
Vive la Guinée !